Article audio de Radio France
« Ce matin, Charles Pépin nous parle de la joie, quoi de mieux que cette joie qui n’est pas le bonheur, qui n’est pas non plus le plaisir, cette joie qui est bien plus folle que le bonheur. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’on est « fou de joie » ?
Mais qu’a-t-elle de si folle, cette joie, qui précisément en fait autre chose que du bonheur ? Eh bien c’est qu’elle peut jaillir n’importe quand, n’importe où, même quand les conditions du bonheur ne sont pas réunies. Le bonheur est un état global, durable, de satisfaction existentielle, la joie, elle, n’est qu’une émotion fugace, ici, maintenant, qui nous prend le plus souvent par surprise.
Souvenez-vous. Vous marchez dans la rue pour vous rendre à un rendez-vous, dans un état de neutralité affective, au cœur de cet instant banal de votre journée banale et puis, soudain, la joie jaillit. Vous sentez son feu dans votre sang, dans vos jambes, dans votre cœur, dans votre âme. Mais d’où vient-elle ? D’où vient la joie quand elle survient ?
Souvenez-vous. Vous êtes à un enterrement. Vous avez marché sous la pluie, vous avez pleuré, vous avez eu froid, faim. Et puis soudain, vous discutez avec des proches, vous ne vous y attendez pas, et la joie vous prend au ventre ; la joie vous traverse. Mais d’où vient-elle ? D’où vient la joie quand elle survient ? Est-ce qu’elle vient du monde, du soleil, de Dieu, est-ce qu’elle vient du fond de votre corps, de vos muscles, est-
ce qu’elle est une forme déguisée de votre instinct de survie ? Une chose est sure : la joie dit OUI à la vie et ce OUI n’a pas besoin que toutes les cases du bonheur soient cochées pour s’élever et triompher.
La joie dit oui à la vie même imparfaite. Elle est une force de consentement à ce qui est. Chaque fois que nous ressentons cette émotion de joie, nous retrouvons la force de dire oui à la vie, même décevante, même un peu pourrie, même parfaitement tragique. Et cette joie de consentement nous donne de la force pour aller de l’avant, pour essayer d’améliorer les choses. La joie du consentement devient alors une joie… de combattant.
Quel paradoxe ! Parce que nous sommes capables d’accepter la vie comme elle est, avec ses souffrances et ses manques, nous nous sentons soudain remplis de la force d’essayer de la changer, de l’améliorer. Joie de consentement qui peut nourrir une joie de combattant, mais trêve de distinctions, car c’est toujours la joie…de vivre.
Pas la joie de vivre comme ceci ou cela, en ayant réussi ceci ou cela, non, la joie de vivre tout court. Parce que c’est vivre qui est un miracle. Nous aurions pu ne jamais venir à l’existence, nous pourrions n’être déjà plus, et pourtant nous sommes. Toute joie dit la conscience de ce miracle : notre existence arrachée à la contingence de tout chose. Et quand en plus, en plus de ce miracle, il y a l’arôme de ce café, il y a ce soleil de septembre, et quand en plus, en plus de ce miracle, il y a ton corps que je désire, alors, définitivement, il ne manque rien.
Cela finirait presque par ressembler à du bonheur, me direz-vous, perspicaces. Mais non, pas vraiment, car nous savons les malheurs du monde, les souffrances et les drames, nous savons notre monde menacé, nous savons le mal que l’homme fait au reste du vivant, et cette conscience entrave notre bonheur.
Mais si la joie n’est pas le bonheur, il y a quand même une relation entre les deux. Si la joie n’est pas le bonheur, elle en est quand même la promesse : chaque instant de joie nous rappelle que le bonheur est possible. Mais pourquoi, au fond ? D’où vient ce pouvoir de la joie de nous rassurer sur la possibilité du bonheur ? Que touchons nous, au cœur de cette émotion qu’est la joie, qui soit ainsi de nature à nous donner de nouveau foi en la vie ? Eh bien vous avez le we, et peut-être plus, pour y réfléchir… »